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Le "Cerveau Interprète" : Comment Notre Esprit Fabrique des Histoires et Influence Nos Décisions

Photo du rédacteur: Stratégie et TransitionsStratégie et Transitions

Nos émotions et les récits que nous nous construisons sont bien plus influents sur nos vies que nous le croyons. Mais ce pouvoir narratif interne, bien souvent, nous échappe. Depuis plusieurs décennies, la neuroscience explore cette capacité fascinante du cerveau à "raconter des histoires", et l'une des découvertes les plus marquantes dans ce domaine remonte aux années 1980 avec le chercheur Michael Gazzaniga.

Gazzaniga a pu observer ce qu'il a appelé la fonction d’"interprète" du cerveau, un mécanisme qui façonne des récits pour donner du sens à notre comportement et aux événements de notre vie, même lorsque les raisons de ces actions et de ces situations sont floues ou peu cohérentes.


L'Expérience de l'Interprète


Dans les années 1980, alors qu'il travaillait dans le laboratoire de Roger Sperry, pionnier de la recherche sur le cerveau divisé, Gazzaniga étudiait les patients ayant subi une callosotomie – une opération consistant à couper le corps calleux, cette structure reliant les hémisphères gauche et droit du cerveau, pour limiter la propagation des crises d’épilepsie graves. Ces patients, bien qu’apparemment fonctionnels, révélaient une particularité étrange sous des tests conçus pour isoler chaque hémisphère.

Lors de l'une de ces expériences, Gazzaniga projetait une image pour que seul un hémisphère puisse la voir. Si une image apparaissait dans le champ visuel gauche, elle était transmise à l’hémisphère droit, privé du centre de la parole. Le patient, en réponse, affirmait ne rien voir, mais lorsqu'on lui demandait de dessiner, il pouvait pourtant reproduire l'image. Curieusement, lorsqu'on lui demandait ensuite pourquoi il avait dessiné l’objet (par exemple, un verre d’eau), le patient trouvait spontanément une explication plausible, comme "j'avais soif". Cette réponse n’avait aucun lien réel avec le stimulus initial, mais l’interprète du cerveau construisait malgré tout une histoire logique pour combler le vide.


Le Pouvoir de la rationalisation


Cette fonction de l'interprète est une illustration puissante de notre tendance à justifier nos actions a posteriori. Même lorsque nos décisions sont prises inconsciemment, notre esprit s'empresse de construire un récit cohérent, de donner une cause à nos choix, une logique à nos impulsions. Cette inclination à rationaliser peut se révéler bénéfique en nous donnant un sentiment de contrôle et de continuité. Cependant, elle nous rend également vulnérables à des interprétations biaisées et souvent déconnectées de la réalité.

Par exemple, en entreprise, combien de fois avons-nous pris des décisions influencées par des émotions momentanées – une sensation d'urgence, une pression sociale ou un besoin d'affirmer notre expertise – puis avons-nous justifié ces décisions avec des arguments que nous n'avions même pas envisagés sur le moment ? La fonction d’interprète explique en grande partie ces narrations internes, souvent révisées après coup pour faire sens.


Comment nos histoires modèlent notre réalité


Ce besoin narratif va plus loin : nous créons des récits qui soutiennent notre identité, nos valeurs, et nos perceptions des autres et du monde. Cela influence non seulement nos décisions individuelles mais aussi les dynamiques relationnelles et professionnelles.

Dans un environnement de transformation, par exemple, les dirigeants qui réussissent à influencer sont souvent ceux capables de raconter une "histoire collective" qui parle aux émotions, aux valeurs partagées, et aux idéaux de leurs collaborateurs. Cependant, ces histoires ne devraient pas être seulement des "fictions de motivation". Elles doivent être construites sur des vérités fondamentales et des objectifs communs pour ne pas susciter, à terme, des désillusions ou des résistances.


Contrôler l’interprète pour mieux décider


Gazzaniga nous rappelle que nous avons tous cet interprète actif dans notre cerveau. Mais si nous restons conscients de son influence, nous pouvons l'utiliser comme un allié pour des décisions plus authentiques et moins impulsives. Quelques clés pour y parvenir :

  1. Remettre en question nos premières impressions : Avant de formuler une explication immédiate, il est utile de vérifier les faits et d'évaluer si l’émotion derrière l'action influence notre récit.

  2. Se focaliser sur les valeurs et objectifs profonds : En gardant en tête nos motivations fondamentales, nous sommes moins enclins à réécrire les faits pour s’aligner sur des décisions impulsives.

  3. Collaborer pour une perspective élargie : Dans les projets collectifs, écouter activement les interprétations des autres et équilibrer ces visions peut nous aider à rester ancrés dans la réalité.


En conclusion : créer une Histoire qui vous ressemble


En intégrant ce principe de l'interprète dans notre vie personnelle et professionnelle, nous devenons non seulement plus conscients de nos choix, mais aussi plus à même de créer des histoires qui reflètent réellement qui nous sommes et ce que nous voulons accomplir. L’interprète ne doit pas être simplement une fabrique de rationalisation ; il peut devenir un outil puissant pour construire des récits ancrés dans une réalité partagée, inspirante et porteuse de sens.

Gazzaniga nous montre que nous vivons en partie à travers les histoires que nous nous racontons. Apprenons à les écrire avec soin.

 
 
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